» Vu de loin, le rock’n roll contemporain ressemble à un pachyderme légèrement sourd aux mutations du monde actuel. Encore largement dominée par les hommes et régulièrement piétinée par leurs gros sabots virilistes, cette scène peine à prendre le train d’une époque de remise en question salvatrice. Bien heureusement, certain·es artistes font avancer les choses, tout en ne renonçant ni aux guitares brûlées à l’électricité ni au champ des possibles qu’a encore à offrir un groupe rock en 2023.
The Psychotic Monks sont bien décidés à déboulonner les prérequis, tout en refusant le statut de défouloir pour amateurs de pogo testostéroné que certains voudraient leur accorder un peu vite. Sur son troisième album, le groupe parisien fait le choix de l’expérimentation et d’une prise de risques souvent jusqu’au-boutiste qui, si elle est poussée par un certain vent de liberté, risque aussi de déstabiliser ses fans de la première heure. »
Les Inrocks
Depuis leur premier album, Silence Slowly And Madly Shines (Alter K), sorti en 2017, les membres de The Psychotic Monks n’ont cessé de nous impressionner de par leur maturité et leur détermination à proposer une présence scénique et discographique singulière. Leur secret : une remise en question permanente qui s’engouffre ainsi dans chacune de leur action et qui a conduit le groupe à sortir Private Meaning First (Vicious Circle / FatCat Records) en 2019, un deuxième album incendiaire redéfinissant même l’alphabet de leur musique en deux chapitres et un épilogue de quinze minutes. Rappelons aussi qu’il n’y a pas de leader au sein du groupe, tout le monde écrit, chante et compose à l’unisson. Ainsi, en découle un questionnement non seulement de leur pratique, mais aussi de leur positionnement personnel et bien entendu de leur rapport au public. La pandémie est arrivée, période qui a permis une grande prise de recul. Les nouveaux titres ont alors été composés par de longues impros en studio, en totale connexion avec l’inconscient, et nous arrivent tel un acte de résistance à la violence ambiante. Leur 3e album, Pink Colour Surgery (Vicious Circle / FatCat Records), produit par Daniel Fox de Gilla Band, est donc né de ces questionnements perpétuels. Ici il ne faut pas forcément s’attendre au format “chanson”, mais bien à un chaos sonore dont le groupe a dompté les folles envolées pour en faire un écrin sans concession, mais où chaque idée a trouvé son propre espace de liberté. L’envie de surprendre est aussi un des points forts du groupe et leur désir de pousser à la curiosité est bel et bien là. Vivre leur musique est alors une expérience intime, sensorielle, dont on reçoit la déflagration encore longtemps après.
Déconcertant au premier abord, ce nouvel opus opère dans le noir une chirurgie de l’éthique qui
s’étoffe de rose pour une métamorphose renversante.
Parmi ses zones de turbulences et ses accalmies, c’est un voyage vers l’inconnu qui nous est proposé et si l’instrumentation y est défigurée c’est pour en faire surgir le cœur essentiel de cette opération à vif.
Pourtant radicale, cette œuvre est véritablement accessible à qui y plonge en profondeur. On y est sans cesse hypnotisé, bousculé, car son âme flirte dangereusement avec une transe furieuse et oppressante. Pink Colour Surgery est donc bien un album miraculeux, sinon miraculé, car il revient de loin. On avance ici à l’aveugle avec audace, vers une zone d’inconfort qui va peu à peu s’étendre sur un chemin tortueux, voire même s’étreindre d’une électro maladive avant de toucher la cime de l’introspection. Nos sentiments sont alors brinquebalés tout comme notre avancée, morceau après morceau, passant du chaos total à la plus douce des étreintes car il y a du charnel ici, miroir tendu à une violence sous-jacente que le groupe a pris soin de décortiquer, aussi bien lors de ses concerts que dans le parti-pris de ce disque, car cette violence qui ne dit pas son nom, peut être plus insidieuse et nous grignoter sournoisement, comme la moisissure. Ce disque est donc aussi une façon de libérer la parole par sa structure même qui nous embarque intégralement dans un trip initiatique plein de recoins secrets, à condition d’accepter de s’y lancer pleinement. Combien alors le voyage devient addictif, se laissant glisser d’une plage à l’autre, parfois heurté, parfois embrasé d’une épiphanie inattendue, car sa lumière nous irradie. Pink Colour Surgery est telle la pièce cachée d’une maison dans laquelle nous n’étions jamais entré et l’éventualité de s’y sentir bien n’y est pas exclue.